Une réflexion sur le temps et les espaces
Une réflexion sur le temps et les espaces
Valentine Haberman
Commissaire de l'exposition
Rez-de-chaussée - Art, bienveillante solitude
Cette première salle présente une rétrospective de l'évolution de mon travail sur les deux dernières décennies. Des expressions différentes, mais toujours le même style : une peinture narrative et symbolique.
Ici loin du monde réel, 2015, Acrylique sur lin, 130 x 81
Pour ma part, la création est un acte solitaire. Une solitude bienveillante et créatrice est donc mon quotidien. "Ici loin du monde réel" (Lakmé, L. Delibes) est ma réponse aux amis qui ne comprenaient pas que je quitte Paris et son énergie trépidante pour une installation en Provence dans le calme des collines et des oliveraies.
Nymphéas, 2009, Acrylique sur lin, 195 x 114
C’est la même solitude créatrice que recherchait Monet dans son jardin de Giverny ...
Solitude, 2009, Acrylique sur lin, 130 x 130
... et ces saxophonistes s'isolant loin du brouhaha de la ville, ...
Cuba Libre, 2009, Acrylique sur lin, 130 x 195
..., bien que ce musicien cubain, libre de jouer sur la plage, rêvait de sortir d'un cadre strict imposé, de ne plus être condamné à rester "planté dans le sable avec son saxo"...
La nostalgie est le réconfort des âmes solitaires !
Demain dès l’aube, 2011, Acrylique sur lin, 73 x 117
C’est peut-être cette nostalgie que ressentait Victor Hugo imaginant ce voyage le long de la Seine pour fleurir la tombe de sa fille...
Mélancolie, 2015, Acrylique sur lin, 130 x 81
...ou Vermeer vieillissant contemplant son modèle...
La vie antérieure, 2016, Acrylique sur lin, 130 x 81
...ou encore Saül auquel David aurait été envoyé pour l’égayer de sa harpe lorsque la nostalgie troublait l’esprit du roi.
Solitudes, 2015, Acrylique sur lin, 130 x 89
Une réinterprétation aborigène de "Nighthawks" d’Edward Hopper sur le sujet de la solitude et de l’aliénation de l'individu dans la société, ainsi qu’un hommage à Velasquez. Le tableau met en scène un ensemble de personnages qui ne se parlent pas malgré leur proximité, enfermés dans leur solitude.
Par opposition, au fond du bar, un autre de mes tableaux intitulé "Solitude" au singulier dépeignant un isolement volontaire et créatif apporte une note lumineuse et légère.
Etage 1 - Mutation, énergie créatrice et destruction
Cette série "Mutation, énergie créatrice et destruction" cherche à exprimer le rythme accéléré et qui semble exponentiel des changements qui modifient la façon dont nous expérimentons le monde dans lequel nous vivons.
Maelström 1, 2021, Acrylique sur lin, 130 x 81
Ces maelströms figurent l’accélération des mutations actuelles, l’engloutissement de tout ce que nous tenions pour acquis ; l’introduction d’un spectateur anonyme insiste sur notre questionnement face au monde qui disparaît et à celui à venir.
Maelström 2, 2021, Acrylique sur lin, 130 x 81
L’élan vital, 2021, Acrylique sur lin, 130 x 81
Cette évolution créatrice évoque l’approche métaphysique bergsonienne de la création qui transfigure la matière, une continuité de la vie, une explosion jaillissante. Les couleurs vives, le rouge du sang ou le vert de la végétation sans cesse renouvelée, le mouvement de la toile, montrent l’incroyable énergie et la puissance de ces transformations.
Eaglehawk Neck 1, 2018, Acrylique sur lin, 130 x 89
La géologie nous rappelle que la Terre est aussi en constante création et mutation. Eaglehawk Neck (Tasmanie) est un exemple de cette énergie créatrice imprévisible de la nature : on pourrait croire ce pavement en mosaïque créé par l’homme par sa beauté et son inventivité. En opposition à la couleur utilisée pour les créations humaines, j’ai choisi le noir et blanc pour exprimer la lente évolution de la rive sculptée par les vagues.
Eaglehawk Neck 2, 2019, Acrylique sur lin, 130 x 81
Banquise, 2021, Acrylique sur lin, 130 x 81
Quelques symboles d’une nature martyrisée que menace notre énergie créatrice : une banquise disloquée, le squelette d'un arbre brisé, humanisé, implorant.
Des tons froids et sombres pour exprimer l'agonie de notre environnement et la nôtre. Mais aussi des traces d’ours sur la glace ou quelques touches de couleurs vives, qui représentent autant la disparition que la renaissance.
Kangaroo Island, 2020, Acrylique sur lin, 130 x 81
Sans titre, 2022/10, Acrylique sur lin , 100 x 100
Nous ne sommes qu’au début des mouvements de population dus aux changements climatiques de l’ère moderne. Quitter cet appartement désormais envahi par le sable, où notre famille réside peut-être depuis plusieurs générations, quitter notre ville, recommencer une vie ailleurs, savoir nos proches disséminés …
Le choix d’un appartement haussmannien me permet cette empathie nécessaire, la porte dégondée souligne l’abandon et rompt l’harmonie des cadres solides et sécurisants de l’ensemble.
Sans titre, 2023/03, Acrylique sur lin, 100 x 100
Dernier questionnement de ce triptyque "Mutation, énergie créatrice et destruction", il me semble juste de nous interroger sur ce que sera le monde lorsque nos enfants auront notre âge.
Comme un puzzle, notre futur dépend de nombreuses pièces différentes : jeux politiques, acteurs économiques et industriels, médias, mouvements de sensibilisation ou de pression, éducation… L’humanité est à la croisée des chemins : nous faisons face à la fois aux opportunités offertes par des technologies puissantes qui transforment notre façon de vivre, et aussi aux défis qu’elles posent.
L’avenir n’est pas encore peint. La dernière pièce du puzzle, en "dot painting" à la manière des peuples aborigènes du désert central australien, propose l’alternative entre une terre aride ou une plante d’un vert tendre et rafraichissant. Nos enfants connaîtront certainement la réponse.
Etage 1 - Valeurs et refuge, un monde pas si nouveau...
Pauvreté, inégalité, pandémie, crise climatique, urgences humanitaires de plus en plus complexes, guerres, le monde est confronté à de multiples défis qui dépassent le cadre des frontières nationales. Ces défis sont aggravés par des attaques contre la démocratie et des violations des droits de l'homme, en particulier de ceux des femmes et des filles.
Pour affronter ces crises, il est tentant de les imputer à la modernité progressiste et de se réfugier dans la nostalgie d’un monde conservateur imaginé plus stable. L’élan d’ouverture des années 70, libertés individuelles et sexuelles, tolérance, acceptation de l’autre, est depuis une vingtaine d’années montré comme responsable des crises actuelles.
Cette série stigmatise l’hégémonie réactionnaire intellectuelle et culturelle actuelle qui crée une société polarisée où chacun se radicalise dans un couloir de pensée qui nous isole dans l’intolérance et le repli sur soi.
Couvrez ce sein…, 2014, Acrylique sur lin, 130 x 81
Lorsque Boticelli peint Vénus sortant nue de l’eau, il s’oppose à l’obscurantisme médiéval des valeurs morales de son temps et s’inscrit dans le mouvement de libération intellectuelle de la Renaissance. Aujourd’hui, les tartuffes attaquent avec succès toutes formes de libertés féminines, nudité, contraception, avortement…, faisant reculer le pouvoir libérateur du souffle de Zéphyr, doux vent du printemps.
Les protagonistes se détachent sur un arrière-plan monochrome sur lequel le paysage environnant est à peine esquissé pour un rendu allégé et aérien. Les corps sont réalisés en fines lignes parallèles à la manière des peuples aborigènes d’Arnhemland. Par dérision, les vêtements féminins portent des symboles floraux et fruitiers aborigènes, ceux de Zéphyr représentent leur façon d’exprimer le vent.
European Gothic, 2015, Acrylique sur lin, 117 x 90
European Gothic est une parodie du tableau "American Gothic" de Grant Wood qui dépeint l’Amérique profonde du Midwest. Habiller à la manière des dévots catholiques du XVIIème siècle ces personnages aux visages étroits et inquiétants, les fraises rigides renforçants leur sévérité, c’est critiquer le retour fallacieux du monde occidental à des valeurs patriarcales réactionnaires et obsolètes.
Issu de la même série que "Couvrez ce sein…", on retrouve dans ce tableau la même teinte monochrome, la même absence d’éléments de paysage dans le but de concentrer le regard sur les sujets, les mêmes décors floraux et fruitiers pour le vêtement de la femme. La tenue de l’homme porte des symboles de scènes de chasse et d’animaux : hommes portant pique et boomerang chassant l’émeu et le kangourou sur le baudrier, diner de chasseurs autour d’un feu, traces d’opossums, crocodile, oiseau, serpent et lézards sur le vêtement.
Femme en rouge, 2017, Acrylique sur lin, 130x89
La Femme est l’avenir de l’homme…
Friedrich Engels considérait le patriarcat comme une oppression paternelle nuisible et assimilait domination masculine, apparition de la propriété privée et naissance des inégalités. A l’opposé, le matriarcat coïncidait pour lui avec un meilleur partage des biens et des tâches, et faisait figure de paradis perdu.
Présenté à la manière des statues grecques, le corps puissant de cet homme nu semble ne pas affecter la liberté de cette élégante femme à la robe rouge écarlate, gantée et chapeautée.
Portrait de famille 2, 2015, Acrylique sur lin, 130 x 89
Mariage homosexuel et homoparentalité sont un autre champ des tentatives hégémoniques réactionnaires visant à stigmatiser des valeurs qui seraient sources de la décadence occidentale.
La couleur dominante des deux tableaux est l’indigo, la couleur de ceux que l’on ne voit pas, qu’ils se cachent ou qu’on les ignore.
Reprenant à l’identique la structure, les positions et la gestuelle de la gravure "Adam et Eve" d’Albrecht Dürer, le tableau présente l’empereur Hadrien et son amant Antinoüs au jardin d’Eden. Le perroquet au dessus d’Antinoüs symbolise l’amour durable pour de nombreuses cultures.
Portrait de famille 1, 2015, Acrylique sur lin, 130 x 89
Tous les éléments principaux du portrait présumé de Gabrielle d’Estrée et de sa soeur la Duchesse de Villar partageant un bain ont été respectés. Deux enfants sont auprès d’elles. Bonheur et bien-être familial émanent du sourire des personnages et de leurs positions naturelles. Le rubis au centre de la famille évoque l’amour et la loyauté.
Les religions sont les premières sources des valeurs, définissant les libertés individuelles et collectives, permettant le vivre ensemble. Elles offrent aussi un refuge dans les périodes d’incertitudes. Mais, intangibles et incontestables par principe, elles sont aussi source d’immobilisme pour ceux qui appliquent le dogme sans l’interpréter à l’aune du temps.
Le sujet de la crucifixion est l’un des drames majeurs de la culture chrétienne; par association d’idées, j’ai emprunté à Picasso quelques personnages de Guernica, autre drame majeur de notre civilisation.
Crucifixion, 2016, Acrylique sur lin, 130 x 81
Ce tableau résume en une seule place les temps de la crucifixion. D’abord le crucifiement dans sa crudité, le bourreau armé de son marteau et les deux soldats jouant la tunique du Christ aux dés inscrivent la scène dans une réalité froide, factuelle, humaine. Puis le temps de la douleur de Marie et de Marie-Madeleine et de la mort du Christ, du coup de lance du soldat romain suivi des ténèbres qui couvrent le ciel. Enfin, sur la croix ne restent que la couronne d’épines et le pagne, Christ est absent, ne subsiste que son souvenir, il est ressuscité, nous entrons dans le divin.
Shaddaï, 2017, Acrylique sur lin, 130 x 81
Etage 2 - L'origine du monde
Au commencement était la femme…
Dans un groupe nomade de chasseurs-cueilleurs, le rôle de la femme était prépondérant car de sa fertilité dépendait la survie et la pérennité du groupe ; elle tenait donc une place centrale dans la tribu.
La transition de ces tribus nomades vers des communautés d’agriculteurs-éleveurs a profondément modifié le monde. La sédentarisation permettant un accroissement de la fertilité sans précédent, le rôle de la femme devint moins crucial alors que la puissance physique devenait capitale pour protéger les terres, le village, le bétail et les semences. La valeur cardinale devenait la force.
De la révolution néolithique naissaient ainsi une société patriarcale et les premières guerres de possession et de territoire.
Révolution néolithique 1, 2017,Acrylique sur lin, 130 x 89
Pour marquer cette rupture nette entre un avant et un après, je cherchais une structure au rythme binaire. Celle des tableaux de Rothko s’est immédiatement imposée à moi.
Les parties inférieures et supérieures, nettement séparées, opposent le paléolithique au néolithique. L’utilisation d’une palette réduite à sa plus simple expression avec juste une ou deux couleurs franches, primaires, émergeant d’un fond noir, renforce l’opposition entre les deux sujets.
Révolution néolithique 2, 2018, Acrylique sur lin, 130 x 81
La Dame de Brassempouy s’imposait comme représentante féminine. C’est pour moi la plus émouvante des oeuvres d’art préhistorique car elle nous apporte l’image la plus réelle et la plus vivante de la femme paléolithique. Les techniques d’élaboration de cette statuette sont très complexes et lui confèrent de grandes qualités plastiques : l’incision pour le quadrillage et les traits du visage, le raclage et le polissage pour le modelé du visage. La figuration de ce visage est tout à fait exceptionnelle.
Révolution néolithique 3, 2018, Acrylique sur lin, 130 x 81
Pour cette série concernant des ères disparues, j’ai choisi, outre le dot-painting, l’expression aborigène Pintupi, peuple classé en voie d’extinction aujourd’hui par l’UNESCO. Dans le dédale des traits, on peut découvrir dans les tableaux des personnages ou des animaux figurant leur ère respective.
Révolution néolithique 4, 2018, Acrylique sur lin, 130 x 81
Etage 2 - Apparences
Automne, 2022, Acrylique sur lin, 130 x 89
L’Automne symbolise dans la culture classique le temps de l’abondance, du mûrissement, de la récolte et de la richesse. On l'identifie parfois aussi à celui de la décadence, du déclin, de la vieillesse.
C'est pour moi la plus belle des saisons, lorsque les forêts présentent leur diversité par de flamboyantes explosions de couleurs.
Le rendez-vous, 2009, Acrylique sur lin, 140 x 140
D’après la pièce "Les Chaises" d'Eugène Ionesco dans laquelle les protagonistes sont des fantômes, des présences sans personnes, des êtres dans le néant. Ces chaises vides apparaissent comme les seuls personnages réels. Il n’y a pas une seule histoire ici car toutes sont possibles, je laisse à l’imagination de chacun de créer les siennes, selon son humeur.
La scène se passe au Jardin du Luxembourg, mais l’alignement parfait des arbres et la ramée de couleur rouge lui donne l'apparence de la Mosquée-Cathédrale de Cordoue avec sa forêt de colonnes en marbre sur lesquelles reposent des arcades de briques rouges et blanches.
Introspection, 2013, Acrylique sur lin, 100 x 100