Un peintre évènementiste

Ses réalisations présentent Olivier Haberman comme un peintre évènementiste ou peintre interstitiel.

La notion d’événement fait ici référence au concept philosophique que nous transmet Deleuze dans La Logique du Sens par « éternellement ce qui vient de se passer et ce qui va se passer, jamais ce qui se passe».

C'est la recherche de ce «temps mort» qui n'existe pas dans la vie réelle, cet interstice du temps qu'il propose en arrêt sur l'image à celui qui regarde ses toiles, ce partage d'un art d'être au présent.

Cette démarche de convergence invite le spectateur à ne plus considérer le temps comme une dimension linéaire et objective de la vie. L'intangible, le sacré sont amenés par le passé, dévoilent au présent nos impuissances et nos regrets. Le futur présente l'incertitude qui est à l'origine de nos inquiétudes et de nos espoirs.

Le temps devient rythme à travers sa peinture et fait place à la pure musicalité, pour favoriser l'écoute de l'événement, pour sortir de l'histoire et penser le réel autrement. La perte de linéarité interrompt la succession naturelle entre passé et futur. La mort ne s'oppose plus à la vie. Nos manichéismes mentaux se fondent dans les couleurs d'un présent devenu lieu de l'au-delà.

Nos repères sensitifs sont amenés de la durée vers l'instant par la structure symbolique de ses toiles. Le savoir et la mémoire se diluent dans la compréhension des mythes passés. Les projections futures de toute action sont suspendues, comme autant d'aveux d'impuissance à l'intérieur de nos grandes contradictions contemporaines.

A ce fatalisme qui n’est pas un abandon, sa peinture convoque et engage le spectateur comme témoin, en tant que porteur de sa propre expérience, au devoir de non-indifférence. Se mêlent le temps de la souffrance, le temps de l’attente et le temps de l’espérance. Leurs musicalités coexistent à travers une relation symbolique qui supprime leurs distances rythmiques et permet une lente découverte de ce que je qualifierais comme la possibilité d’un acte commun pour l’artiste et le spectateur. L’action nécessite un cadre unifié à sa réalisation pour échapper à notre immobilité mentale. Elle est vaine dans un monde où nous nous sentons de moins en moins capables d’agir sur le cours des choses, de plus en plus distants en tant que sujet, si nous n’amenons pas ensemble la manifestation de notre acte au présent. Partager ensemble la nécessité immédiate de « faire en étant ».

Deleuze voulait avoir cherché dans tous ses livres, la nature de l'événement. "Il y a deux modes de considérer l'événement, l'un consiste à passer le long de l'événement, à en recueillir l'effectuation dans l'histoire, le conditionnement et le pourrissement dans l'histoire [c'est appréhender l 'événement depuis le système hiérarchique qui pose l'Histoire], mais l'autre [consiste] à remonter l'événement, à s'installer en lui comme dans un devenir, à rajeunir et à vieillir en lui tout à la fois, à passer par toutes ses composantes ou singularités. "

La peinture d'Olivier Haberman contribue peut-être à ouvrir le chemin irrationnel d'une topique esthétique dans cette recherche.

Michel RECIO, 2008